Sobriété numérique

Publié le 30 mars 2023

Le grand absent du récit de la dégooglisation d’Échirolles est l’investissement de la commune dans un objectif de sobriété numérique. Il s’agit pourtant de l’un des 4 axes majeurs du schéma directeur « Échirolles numérique libre ». Simplement, il nous a semblé un peu éloigné de l’objectif initial de la série.

La feuille de route politique de la ville, travaillée en groupe transversal par les élus, y consacre un chapitre intitulé : « Mettre les outils numériques au service de la transition écologique et des évolutions des pratiques. »

La nécessaire contribution du numérique à l’effort d’optimisation énergétique de la commune y est rappelée, mais la réflexion va au delà : « sans être négligeable, l’optimisation ne suffira pas à répondre au défi écologique et ne constitue pas le seul apport du numérique dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il est également possible de le « considérer sous un autre angle, celui d’une force de transformation des pratiques. ».

Parmi les pistes évoquées, « une réflexion sur l’inclusion de critères de réparabilité et de capacité de réemploi dans ses choix de matériel numérique ». Toutes les études récentes indiquent effectivement que la production du matériel compte pour 70 à 80% de l’empreinte environnementale. C’est donc en toute logique que la Direction de la Stratégie et de la Culture Numériques (DSCN) a choisi de prioriser les initiatives portant sur cette problématique.

Sobriété matérielle

Dans ce domaine, pas toujours évident à appréhender, une action efficace passe par des changements profonds, une « transformation des pratiques » du service informatique. De nombreuses procédures ont été révisées, qui impactent aussi bien la dimension « support » que les achats ou la construction budgétaire.

Acquisition du matériel et reconditionnement

La loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) impose qu’au moins 20% du montant total (hors taxe) des achats soient consacrés à du matériel reconditionné. Sont concernés les :

  • machines, matériel et fourniture informatique et de bureau, excepté les meubles et logiciels ;
  • terminaux informatiques ;
  • ordinateurs portables ;
  • ordinateurs de bureau ;
  • accessoires informatiques ;
  • photocopieurs et matériel d’impression offset ;
  • pièces et accessoires de photocopieurs ;
  • cartouches de toner ;
  • cartouches d’encre ;
  • fournitures de bureau.

La concrétisation n’est pas simple au quotidien (la mise en place de circuits d’approvisionnement prenant en compte cette nouvelle donne n’est pas achevée), et on peut regretter que soit exclues du dispositif : « les opérations de redéploiement internes de matériels, par exemple informatiques, qui consistent à redistribuer d’un service à l’autre des matériels déjà acquis et utilisés (...) car elles ne constituent pas de l’achat public. ».

Pour autant, la ville essaie de se conformer à cette exigence, tout en travaillant au reconditionnement des postes en interne (ajout de disques SSD et de RAM sur des PC anciens, qui sont ensuite redistribués), ce qui évite des achats dispensables.

Quand le matériel n’est plus utilisable, il est remis à une association qui le reconditionne et le distribue gratuitement aux habitants les plus en difficulté, en lien avec les maisons des habitants. Seuls les matériels irrécupérables sont déposés dans une déchetterie métropolitaine qui se charge de son recyclage.

Limitation des acquisitions

On l’évoque peu, mais l’un des exemples les plus frappants de gaspillage lié à l’obsolescence esthétique (c.a.d aux effets de mode) est la disparition, en quelques années, des écrans cathodiques. Des millions d’écrans en état de fonctionnement ont été jetés par l’ensemble des acteurs, dans un immense gâchis général. Et cela n’a pas signé la fin de la course en avant des acquisitions.

Comment sommes-nous passés de l’utilisation d’un unique écran en format 4:3 de 15 (ou 17) pouces à une demande de plus en plus fréquente de deux écrans de 22 pouces en format 16:9 ? Les usages ont-ils évolué au point qu’un tel niveau d’équipement soit indispensable ? Nous avons décidé de réfléchir et de déterminer, une bonne fois pour toute, ce que devait être l’équipement « standard » (sauf exception justifiable, donc) d’un poste client à la mairie d’Échirolles. Concrètement, la règle est la suivante :

Un poste client, c’est un PC et un écran. Un choix doit être fait entre PC portable (avec, pour le confort, un écran externe) et PC fixe. Pas de double équipement.

L’utilisation d’un équipement extérieur à la ville doit être possible. La question se pose notamment pour nos élu·e·s. Il n’est pas rare que des responsabilités soient exercées dans différentes structures qui, toutes, proposent de les équiper (généralement de tablettes ou de PC portables). On peut donc aisément se retrouver avec 2 ou 3 équipements par personne ce qui, en plus d’être une aberration du point de vue environnemental, est peu pratique au quotidien (transport, recharge, données disséminées sur plusieurs supports, etc.).

Le BYOD (« Bring Your Own Device », soit l’utilisation de matériel personnel dans un cadre professionnel) doit pouvoir participer de l’effort de sobriété. Encore une fois, cela nécessite une adaptation du service, avec des compétences techniques fortes permettant d’assurer la maintenance d’équipements très divers et pas complètement maîtrisés. L’homogénéité du parc informatique ne peut plus être affirmée comme un principe absolu.

Réparabilité

Les services informatiques avaient perdu l’habitude de réparer. Nous nous y employons de nouveau. Un écran d’ordinateur portable ou de smartphone endommagé ? Nous ne remplaçons plus que la pièce nécessaire. Cela nécessite de prendre le temps, et de s’appuyer sur des compétences en interne, sous peine de mettre à mal le budget de la collectivité.

L’achat de smartphones dont l’indice de réparabilité est élevé (type Fairphone) permet de réaliser le même effort sur la téléphonie mobile.

Politique de remplacement

Jusqu’à ce mandat, la procédure prévoyait de lisser les achats de matériel informatique sur 5 ans, et de remplacer systématiquement les postes clients à cette échéance. Le reconditionnement en interne a permis d’acter un amortissement sur 6 ans (7 ans pour les postes fixes et 5 ans pour les PC portables) de nos 1500 machines ce qui représente, en sus de la contribution environnementale, une économie de 35 000 € par an pour la collectivité.

Windows 11, le nouveau système d’exploitation imposé par Microsoft, est incompatible avec les postes les plus anciens, un exemple d’obsolescence logicielle obligeant de nombreuses structures à se séparer de machines en état de fonctionnement et dont on peut se demander comment il peut être toléré dans un contexte d’urgence climatique.

Au même moment, plusieurs rapports récents (DINUM, OW2), viennent confirmer la contribution des logiciels libres à une plus grande durabilité du matériel. Le passage à Linux des postes clients d’Échirolles, entamé depuis plusieurs mois, devrait permettre de progresser encore sur ce point... et accessoirement de générer des économies supplémentaires.

Autre changement de fonctionnement important pour le service : le matériel n’est plus remplacé à intervalle régulier, mais seulement quand cela devient nécessaire. Ainsi, nous laissons la porte ouverte à des durées d’utilisation, dans des conditions correctes, potentiellement plus importantes qu’estimées.

Sobriété, standards et logiciels libres

Le choix d’une messagerie peut-il participer de la sobriété numérique ? Indirectement, oui. Et il est peut-être intéressant d’en donner une illustration concrète. La mise en place de quota sur les boîtes e-mail, par exemple, qui existe quasiment partout, est une assurance contre l’augmentation infinie de la consommation d’espace disque dans un monde (le serveur) fini. Mais, du point de vue de l’utilisateur, l’espace alloué n’est jamais suffisant. Quelle solution proposer pour pouvoir augmenter la durée de conservation des messages sans impacter inconsidérément la facture environnementale ?

Depuis des années, l’espace disque des postes clients est supérieur au besoin réel. Les problèmes de disques durs pleins, fréquents il y a une vingtaine d’années, sont devenus rarissimes. Toutes les infrastructures disposent donc d’un espace disque disponible et sous-utilisé. Plutôt que d’augmenter les ressources dédiées au serveur de messagerie, ou de mettre en place un nouvel équipement permettant de faire de l’archivage, pourquoi ne pas s’appuyer sur ces ressources disponibles chez les utilisateurs ?

Pour cela, le choix de la messagerie est important : en s’appuyant sur des protocoles et fonctionnalités standard et interopérables (IMAP, SMTP, LDAP, CalDav, CardDav, etc.), l’utilisation de Thunderbird devient simple et pratique. Utilisés en lien avec la fonction d’archivage intégrée dans le logiciel, les « dossiers locaux » permettent un stockage quasi infini, sur le poste client, des messages électroniques reçus (je conserve ainsi tous mes messages depuis 1999). Résultat : le serveur de messagerie, accessible depuis l’interface web, n’est plus utilisé que pour l’activité récente. Pour donner un ordre d’idée, selon l’intensité d’utilisation, on peut envisager 1 à 2 ans de stockage sur le serveur (pour un quota de 2 Go par utilisateur), le reste pouvant être conservé dans les dossiers locaux.

Certes, une solution de ce type nécessite, pour le service informatique, de maintenir un parc intégrant un client de messagerie plutôt qu’une unique interface web. Certes, les données archivées ne sont pas sauvegardées, et il convient de bien en informer les utilisateurs. Mais en limitant la consommation de nouvelles ressources, l’utilisation des dossiers locaux pour l’archivage est une contribution non négligeable à l’empreinte environnementale de la solution.

Accessoirement, la suppression des pièces jointes, souvent mise en avant comme une solution vertueuse, n’a quasiment plus aucun intérêt dans ce type de fonctionnement.

Consommation énergétique

L’extinction automatique, à une certaine heure, des postes clients permet la réduction d’une consommation énergétique finalement inutile. Des logiciels peuvent être déployés sur l’ensemble des PC pour ce faire. À Échirolles, des prises aisément identifiables sont utilisées pour la connexion du matériel informatique. Leur alimentation est coupée le soir après une certaine heure.

La mutualisation de tout ou partie des solutions peut également être un facteur de réduction de la consommation énergétique. La ville est membre du SITPI, un syndicat intercommunal qui envisage, dans un futur proche, d’investir de nouveaux locaux. Nous y voyons une opportunité de construire un véritable « green data center » prenant en compte, dans son fonctionnement, les enjeux environnementaux (alimentation électrique, refroidissement des serveurs, etc).

Des études ont montré que l’utilisation de PC portables permet également de diminuer la consommation électrique (de 50% à 80% !). L’attribution de portables, chez nous, est maintenant facilitée (mais dans ce cas le poste fixe précédemment utilisé est remis au service informatique, conformément à ce qui a été défini comme base minimale d’équipement d’un poste client).

Autres exemples de contributions

L’ADEME l’affirme : « les équipements multifonctions consomment bien moins que la somme des appareils qu’ils remplacent ». Dans les bâtiments municipaux, les imprimantes individuelles ont été remplacées par des copieurs multifonctions d’étage de bonne qualité.

Sur ces copieurs, la sortie des impressions est soumise à un code à taper sur la machine, ce qui permet d’éviter les impressions oubliées qui s’entassent souvent à proximité des machines. Le toner est recyclé, et des quotas existent pour le papier. Un point sur l’utilisation des copieurs est fait tous les 6 mois avec le prestataire. Il permet d’identifier les consommations excessives et de mettre en place d’éventuelles actions pour y remédier.

Rendons à César...

Certains de ces changements sont récents (réparation), d’autres plus anciens (systèmes d’impression). Dans tous les cas, il nécessitent un effort important d’adaptation des procédures et des agents en charge des projets et de la maintenance informatique.

Si je me suis employé au récit des « aventures numériques » de la ville, il me semble important de rappeler que ces actions sont le résultat d’un travail de réflexion formalisé par nos élus, d’une structuration réfléchie et pilotée par la direction générale des services, et surtout du travail quotidien des 10 agents de la DSI et des 4 agents de l’équipe en charge de l’inclusion numérique, que je félicite pour leur niveau de compétence et que je remercie pour leur investissement.

Pour en savoir plus sur les actions de la commune, vous pouvez consulter la page du site web de la ville dédiée au numérique.

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