Les politiques modernes de l’UE ont besoin de la voix du quatrième secteur
C’est une bonne nouvelle que la Commission européenne prenne désormais en compte la valeur et les besoins de l’Open Source dans ses délibérations politiques. Ce qui est moins bien, c’est qu’elle le fait à travers le mauvais prisme. La Commission doit étendre ses consultations, ses groupes d’experts et ses autres travaux pour inclure et prendre en compte le quatrième secteur.
La société postindustrielle comprend trois secteurs dans la vision du monde qui sous-tend l’Union européenne :
- Le secteur commercial comprend les entreprises industrielles, minières, de services, logistiques et administratives. Elles sont représentées par des associations industrielles et commerciales, des sociétés de conseil et de lobbying, etc.
- Le secteur du travail comprend des travailleurs de toutes sortes – industriels, qualifiés, chercheurs, éducateurs, cadres, chefs d’entreprise, etc. Ils sont représentés par des syndicats, des organismes professionnels, des guildes, etc.
- Le secteur de la consommation comprend toutes les personnes qui dépensent leurs revenus personnels à toutes les échelles. Il est représenté par des associations de consommateurs, des organisations de la société civile, des organisations religieuses, etc.
L’internet a tout changé
Mais l’internet a été le moteur du changement au cours des 50 dernières années et a donné naissance au World Wide Web et donc au mouvement Open Source, qui ont à leur tour catalysé de nombreux mouvements de culture ouverte liés aux technologies. La vague d’ouverture a engendré de nombreux phénomènes – bons, mauvais et en attente de jugement – dont l’économie de l’emploi, les communautés de savoir ouvertes comme Wikipedia et Internet Archive, les géants de la technologie comme Facebook et Google, des protocoloes, des logiciels et des chaînes d’approvisionnement ouvertes, et bien d’autres choses encore. Les rôles joués par les individus dans cette vague ouverte ne s’inscrivent pas aisément dans les trois secteurs postindustriels.
Par exemple, on peut s’attendre à ce qu’un individu relève principalement du secteur de la consommation, une partie de sa vie étant représentée par le secteur du travail. Mais un développeur Open Source peut innover et créer des biens non techniques (secteur commercial) qui sont assemblés (secteur commercial) ou utilisés (secteur de la consommation) par d’autres. Un diffuseur de vidéos peut créer de nouvelles œuvres protégées par le droit d’auteur d’une grande valeur (secteur commercial) qui sont largement visionnées (secteur des consommateurs). Un auteur ou un musicien peut désormais créer sa propre marque sans devenir l’employé d’un éditeur.
Le quatrième secteur n’est pas représenté
C’est la naissance d’un nouveau et quatrième,secteur. Il se compose d’individus, souvent connectés et soutenus par des communautés ad hoc ou caritatives, qui jouent les rôles des secteurs du commerce, du travail et de la consommation dans des proportions variables et en même temps. Le quatrième secteur est mal représenté par les entités et les rôles associés aux trois autres secteurs. C’est inévitable ; chaque rôle du quatrième secteur fusionnera un aspect représenté et un aspect confronté par n’importe laquelle des entités et des rôles dédiés aux trois secteurs traditionnels.
Cela signifie qu’une association de consommateurs ne défendra pas bien les développeurs de logiciels libres parce qu’un aspect de leur existence est classé comme commercial. Un streamer ne sera pas bien représenté par un syndicat parce qu’il incarne à la fois des aspects de consommation et des aspects commerciaux. Et ainsi de suite. En conséquence, les mécanismes de consultation existants utilisés par les législateurs sont voués à l’échec. Lorsqu’ils essaient de traiter l’Open Source en exprimant la compréhension qu’ils ont acquise des logiciels propriétaires, ils ne cessent de causer des dommages collatéraux – comme nous l’avons vu dans la loi sur la cyber-résilience (CRA) et à de nombreuses reprises auparavant. Le besoin se fera de plus en plus sentir au fur et à mesure que la réglementation tentera de contrôler, de rendre compte ou de promouvoir les activités du quatrième secteur sans le consulter.
L’une des principales raisons pour lesquelles cette situation dure depuis si longtemps déjà est l’absence d’un terme à utiliser pour cerner la question. C’est pourquoi je propose d’appeler ce secteur de la société européenne le « quatrième secteur ». Il s’étend bien au-delà de l’Open Source, couvrant toute nouvelle activité économique centrée sur le citoyen qu’il est difficile de représenter avec les seules optiques existantes du commerce, du travail et de la consommation. Disons à la Commission et aux autres gouvernements qu’il est temps de se préoccuper du quatrième secteur, qui est la force motrice de tous les changements qu’ils veulent adopter – ou contrôler.
- Ce texte est une traduction d’un article intitulé « Modern EU policies need the voices of the fourth sector » et publié sur le blog Voices Of Open Source.
- Auteur : Simon Phipps (→ @webmink@meshed.cloud)
- Date : 11 juillet 2023
- Licence (article et traduction) : CC BY-SA
- Image d’illustration : « Le Monument aux Bourgeois de Calais 1889 Auguste Rodin (1840-1917) », sur Wikimedia Commons.
- Auteur : Jean-Pierre Dalbéra